Katharine Viner, la rédactrice en chef du quotidien britannique “The Guardian” estime que la croissance des réseaux sociaux est la principale cause de l’ère post-factuelle qui fragilise radicalement les journaux et tous les organes de presse. Mais ce point de vue fait débat.
Médias et fabrique du consentement
Certains contestent la pertinence de l’hypothèse de Katharine Viner. En France, le sociologue Frédéric Lordon relativise. D’après lui, il ne faut pas surévaluer cette montée en puissance des réseaux. Selon Lordon, aux États-Unis, les médias de masse n’ont pas soutenu Donald Trump. Mais, dès les primaires républicaines, ces médias ont effectivement consacré énormément d’articles au candidat Trump en tentant de le décrédibiliser.
Les médias “classiques” parlaient de Trump parce qu’ils considéraient qu’il était choquant, démagogue, spectaculaire, autrement dit qu’il suscitait la polémique, chose qui est vendeuse en termes d’audience. Si l’on adopte ce point de vue, on est obligé de reconnaître que c’est bien la presse dite “classique” qui a permis à Donald Trump de devenir président des États-Unis.
Une des thèses de Lordon est que le journalisme destiné au grand public s’est éloigné de l’impératif de vérification des faits pour se mettre au service d’une idéologie : le libéralisme économique. Cette façon de penser rejoint la thèse de Chomsky résumée dans l’expression “la fabrication du consentement par les médias”.
Selon Lordon, l’affaiblissement de la presse écrite et de la presse magazine dans l’époque contemporaine serait en réalité causé par la presse elle même. Les médias s’étant fait le relai actif et implicite de la propagande consumériste. De plus, Lordon estime qu’il faut se moquer des expressions telles que : « post-vérité » et « post factuel ».
Quant au journaliste Daniel Schneidermann, il critique Lordon en rappelant qu’une partie de la presse n’a jamais arrêté de produire des articles tentant de dissiper les rumeurs, mais aussi continue à produire des enquêtes parfois très fouillées.
La limite en termes de compréhension ou de critique serait de définir la presse comme un bloc monolithique ce qu’elle n’est pas et n’a jamais été. Il faudrait conserver à l’esprit que sous le mot “presse” se dissimulent plein de façons d’exercer le journalisme. Certaines ayant des limites, d’autres contribuant plus à améliorer la qualité de l’information qu’à promouvoir une quelconque idéologie. Il faudrait donc rester nuancé et éviter systématiquement et farouchement toute généralisation.